Avec une population mondiale en constante expansion, les besoins en denrées alimentaires augmentent également de manière explosive. Devant cette demande exponentiellement croissante, le monde agricole se doit de se poser les bonnes questions sur l’avenir de ce secteur indispensable à la survie humaine qu’est l’agriculture. Comment pourvoir aux besoins alimentaires mondiaux de manière durable et la plus équitable possible ?

Définition de l’agriculture raisonnée

La dénomination « agriculture raisonnée » est la traduction française du concept déjà existant dans les pays anglo-saxons d' »integrating farming« , proposée par l’association FARRE (Forum de l’agriculture Raisonnée Respectueuse de l’Environnement) en 1993.
Une agriculture raisonnée, ou intégrée, tout en s’appliquant à conserver une productivité satisfaisante, s’efforce d’appliquer des pratiques agricoles cohérentes avec la protection de l’environnement. Elle met en pratique les progrès scientifiques dans le domaine de l’agronomie afin de trouver l’équilibre le plus juste possible entre les besoins de l’exploitation agricole et l’impact environnemental. L’agriculteur qui veut produire de façon raisonnée, doit établir de façon précise les besoins de ses cultures et de ses animaux, doit prendre en compte les spécificités de l’écosystème dont fait partie son exploitation et adapter ses pratiques de culture et ses techniques d’élevage aux spécificités écologiques inhérentes à la région où il se trouve.

Il s’agit d’avoir une vision globale de l’agriculture :

  • économique : l’exploitation doit être rentable, le rendement doit être suffisant
  • environnementale : l’exploitant raisonné fait attention à la gestion des ressources en eau, à la préservation des sols, en utilisant de façon pondérée les pesticides et les engrais, aux conditions de vie des animaux
  • qualitative : la production raisonnée vise une qualité toujours meilleure

Cette agriculture de précision est une forme d’agriculture durable, en accord avec la déclaration de Rio et de ses 27 principes, rédigés en 2012 lors de la conférence de Rio sur le développement durable.

Cadre législatif

En France, l’agriculture raisonnée est cadrée depuis 2002 par des décrets et des arrêtés dans le code rural et par un référentiel national de l’agriculture raisonnée. Celui-ci comporte un cahier des charges comprenant 103 exigences nationales auxquelles les agriculteurs doivent se plier pour pouvoir prétendre à la certification « agriculture raisonnée » de leur exploitation. Cette certification, valable 5 ans, est attribuée par un organisme certificateur, agréé par le ministère de l’Agriculture, et permet depuis 2012 d’obtenir le logo HVE.

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Les agriculteurs justifiants de pratiques agricoles réduisant au minimum leur impact environnemental et d’une présence suffisante d’éléments de biodiversité et d’éléments naturels préservés sur leur exploitation (haies, talus, arbres, petit bois ou autre), peuvent apposer sur leurs produits la mention Haute Valeur Environnementale.

L’association nationale FARRE, réseau de professionnels de l’agronomie, soutient ce référentiel et l’orientation qu’elle propose pour l’agriculture, tournée vers des méthodes plus neutres pour l’environnement. Ces 103 exigences nationales sont structurées autour de différents thèmes : connaissance de l’écosystème de l’exploitation, santé et sécurité au travail, gestion des sols et bonne rotation des cultures, santé, alimentation et bien-être des animaux, gestion des déchets, respect de la biodiversité. Ces exigences tendent à inciter par exemple les agriculteurs à adopter de préférence des méthodes naturelles plutôt que des pesticides en faisant appel à des agents de lutte biologique, c’est-à-dire des ennemis naturels du nuisible à éradiquer, en choisissant des variétés plus résistantes aux maladies, en effectuant une rotation nettoyante des cultures pour éviter les adventices (mauvaises herbes), ou en optant pour des méthodes de désherbage mécaniques et non chimiques. L’utilisation des engrais et pesticides ne doit se faire qu’en cas de besoin et non pas de manière systématique.

Critiques de l’agriculture raisonnée

Les détracteurs de l’agriculture raisonnée et de son référentiel sont surtout sceptiques vis-à-vis de son application. Ils considèrent comme de la poudre aux yeux ses 103 exigences, estimant que ces principes ne sont pas très différents de ce qui est déjà appliqué en France, et que le référentiel n’a du coup pas vocation à faire réellement changer les choses en matière d’écologie. L’agriculture raisonnée n’interdit pas les produits chimiques, mais encourage les agriculteurs à les proscrire un maximum de leurs cultures. Les OGM sont permis, et certains y voient même un outil pouvant devenir la réponse au problème des pesticides et même à celui de la faim dans le monde. Évidemment les partisans du tout biologique s’inquiètent d’une expansion de l’usage d’OGM dans l’agriculture, et sont persuadés que l’implication des agriculteurs certifiés « raisonnés » dans le respect de l’environnement, et la restriction des pesticides, ne soit que très limitée. Les plus farouches opposants à la promotion de l’agriculture raisonnée vont jusqu’à accuser ses partisans et porte-paroles de faire le jeu des fabricants de pesticides, sous couvert de fausse bonne volonté écologique.

L’agriculture raisonnée, un bon compromis

Une agriculture intensive

L’agriculture conventionnelle intensive est basée sur l’optimisation de la production, peu importe l’étendue des moyens déployés :

  • la mécanisation à l’extrême, très coûteuse en énergie et nocive pour la biodiversité
  • l’utilisation systématique de produits chimiques
  • l’augmentation des monocultures, qui appauvrissent la terre et accentuent les phénomènes d’érosion
  • l’irrigation, qui épuise les nappes phréatiques

Outre les dégâts écologiques causés par l’agriculture intensive, l’utilisation massive de pesticides est néfaste, aussi bien pour la santé des consommateurs, que pour celle des producteurs, ou que celle des personnes résidant à proximité des exploitations, au contact quotidiennement avec ces produits.

L’agriculture intensive a semblé être la réponse la mieux adaptée à une époque où les besoins en denrées alimentaires se sont accrus et que le modèle économique était à la croissance à tout prix. Aujourd’hui, on constate les dégâts environnementaux que ce type de production a engendrée, la pollution des eaux et des sols par les nitrates et les produits phytosanitaires, la désertification des sols responsable d’inondations. L’agriculture ne peut plus continuer dans cette direction sans finir par détruire ce qui la fait vivre, la nature.

Une agriculture biologique

Une agriculture biologique exclut complètement de sa méthodologie l’usage de produits chimiques et le recours aux OGM. L’agriculture biologique protège ses cultures avec des méthodes reproduisant ce que l’on trouve dans la nature. Il est possible de se servir des prédateurs naturels en cas d’invasion d’insectes ou d’acariens, ou de multiplier et diversifier les cultures en les associant selon leurs effets phytotoxiques sur les mauvaises herbes, pour s’en débarrasser par exemple. Il est évident que ces méthodes ne permettent pas une productivité équivalente à celle de l’agriculture intensive. Du fait d’un rendement plus bas, la production biologique a un coût supérieur à celle de l’agriculture industrielle, ce coût se répercutant sur le consommateur. Les produits bio restent toujours globalement plus chers, aujourd’hui, que les produits issus de l’agriculture conventionnelle, même si l’écart de prix s’est quelque peu réduit ces dernières années. De plus, elle exige davantage de surfaces cultivées pour une quantité de production égale. Avec une population actuellement estimée à 7,55 milliards d’individus, l’agriculture biologique ne saurait couvrir les besoins en production sans s’étendre de façon critique sur les forêts.

Une agriculture durable

La notion de développement durable a été définie formellement en 1987, dans un rapport publié par la Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement. Elle y est décrite comme un mode de croissance qui permettrait de satisfaire les besoins actuels sans mettre en péril la possibilité pour les générations futures d’en faire autant. Ce qu’essaie d’accomplir l’agriculture intégrée, en accord avec cette définition, c’est de préserver les sols, les ressources en eau pour la pérennité de l’agriculture, tout en réussissant à produire suffisamment et à coût raisonnable. Avec l’agriculture intégrée, les producteurs ne sont pas obligés de révolutionner totalement leur façon de travailler et leurs infrastructures, et les consommateurs ne sont pas contraints à modifier radicalement leur façon de consommer. L’agriculture raisonnée s’adresse à un public plus large de consommateurs et d’agriculteurs que l’agriculture biologique, et semble être le bon compromis entre agriculture intensive, extrêmement nocive pour l’environnement et l’agriculture biologique, inapte à nourrir l’ensemble de la population mondiale. Produire « raisonné », c’est, pour les agriculteurs, s’intéresser aux enjeux écologiques, s’impliquer dans le processus de préservation de la nature, et prendre conscience de l’importance de ces enjeux pour le futur de leur profession.

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Pour conclure sur l’agriculture raisonnée

D’après les prévisions de l’ONU, nous devrions être pratiquement 10 milliards d’êtres humains dans le monde en 2050. En intégrant de plus en plus les méthodes de l’agriculture biologique, et en s’appuyant sur les avancées de la recherche agronomique, l’agriculture raisonnée pourrait faire baisser le coût écologique de la croissance des besoins mondiaux en termes de production de nourriture. Le tout biologique n’est pas envisageable pour le moment comme mode de production agricole principal et en continuant à produire de manière intensive, sans prendre en compte la protection des sols, de l’eau, de la biodiversité, c’est l’avenir et la viabilité de l’agriculture et de l’humanité qui sont mises en péril. Un système agricole raisonné, avec des pratiques plus pondérées, couplée à un travail sur une meilleure répartition des produits dans les différentes régions du monde, semble être une solution alternative satisfaisante.